La nouvelle vie des bijoux Agatha
La marque française de bijoux Fantaisie est placée sous l’autorité d’un conseil de surveillance, dirigé à parts égales par Renaissance Luxury Group et Thom Group.
Agatha est probablement la marque française de bijoux créatifs et accessibles qui bénéficie de la plus forte notoriété. En France, ses parures se sont transmises de mère en fille. Quant au développement international, à part Pandora et Swarovski, qui est parvenu à mondialiser une marque de bijoux Fantaisie ? Michel Quiniou, son créateur ! En 2006, il revend Agatha à un investisseur chinois, Antares Cheng (King Power), qui se détourne du marché français et, par là même, de l’identité d’Agatha. La production est délocalisée, l’ADN se dilue, la qualité s’amoindrit, la créativité n’est plus au rendez-vous. La société perd de l’argent : 11 millions en 2019 et entre 20 et 25 millions en 2020, d’après les chiffres communiqués. Placée en redressement judiciaire en novembre 2020, Agatha revoit le jour en février 2021 sous l’impulsion d’Éric Lefranc, président de Renaissance Luxury Group, et de Romain Peninque, à la tête de Thom Group. Auprès du tribunal, les deux partenaires s’engagent à investir 2,5 millions d’euros pour la reprise des actifs et l’atelier de fabrication Fontaas et jusqu’à 7,5 millions d’euros pour reconstituer la trésorerie de l’entreprise. Pour le premier, il s’agit de renouveler un succès précédent : l’engouement fulgurant des consommatrices pour sa marque Les Georgettes. Pour le second, fin connaisseur du marché et de sa distribution, c’est un rêve d’enfant qui se réalise.
Interview croisée des deux repreneurs.
Renaissance Luxury Group et Thom Group, aux commandes d’une joint-venture
Quelles ont été vos motivations stratégiques pour ce rachat ?
Éric Lefranc : L’activité principale de Renaissance est la reprise de sociétés en difficulté et plus spécialement des Entreprises du Patrimoine Vivant. Agatha et son atelier de sous-traitance, Fontaas, rentraient dans cette stratégie. Notre volonté est de lui redonner son aura d’antan, en retrouvant l’ADN français, la bonne collection et la qualité des produits.
Romain Peninque : La mission de Thom Group est de rendre la bijouterie accessible à tous. On le fait extrêmement bien sur l’or. En revanche, dans notre portefeuille stratégique, il nous manquait une marque Fantaisie forte, dédiée à l’argent. Mais nous n’avons pas acheté Agatha pour l’installer dans les bijouteries Histoire d’Or. Cela aurait manqué d’ambition. Je souhaite qu’elle soit très exigeante avec Histoire d’Or. Elle doit sélectionner chez qui elle veut vendre. Nous aurons gagné si, d’ici 2 ans, notre rôle d’actionnaires se résume à animer le conseil de surveillance et à bénéficier d’une équipe dirigeante qui a les clefs en main.
Pourquoi avoir créé une joint-venture et quelles sont vos missions respectives ?
Éric Lefranc : C’était une bonne décision afin d’optimiser nos chances sur ce dossier. Chacun apporte sa valeur ajoutée sur ses zones d’expertises. Le retournement d’entreprise, dont je suis responsable via Renaissance Luxury Group, arrive en fin de process. Altesse apporte dorénavant sa capacité de production, création et gestion et va piloter les corners et le développement auprès du réseau HBJO.
Romain Peninque : Notre valeur ajoutée est la connaissance du marché : nos entrées auprès des bailleurs – la négociation des emplacements et des loyers — le sourcing de matières premières et la formation des vendeurs. La bijouterie est un métier magique où 100 % de la vente est assistée. En 2012, nous avons créé une école, la Thom Académie où nous formons 1 500 collaborateurs par an. La promesse est de pouvoir former un directeur de magasin en seulement 2 ans.
Quid des 374 salariés au moment du rachat ?
Éric Lefranc : Nous avons fait une offre maintenant 170 postes + le reclassement de 56 personnes. À date, nous avons conservé 170 salariés, reclassés 13 employés et rembauché environ 25 personnes. Nous avons repris 2 chefs de produits et la styliste. L’entreprise aura bientôt ses propres locaux.
Développement de bijoux Premium en argent, et Fantaisie en laiton doré
Qu’entendez-vous par « un ADN français » ?
Éric Lefranc : La femme française aime la mode. Elle la porte d’une manière naturelle, non sophistiquée, à l’inverse des Américaines. Agatha doit incarner ce chic décomplexé et transgénérationnel.
Gardez-vous la mascotte du Scottish-Terrier ?
Éric Lefranc : Bien sûr ! Peu de marques sont parvenues à avoir un symbole aussi fort ! On ne va peut-être pas l’inscrire dans le logo comme l’ancien propriétaire, mais on va le garder et sans doute le moderniser.
Comment allez-vous travailler les nouvelles collections ?
Romain Peninque : En tant qu’actionnaire, nous avons notre mot à dire et voulons retrouver l’audace du « Quiniou précurseur ». Il faut embaucher des spécialistes de la communication, du marketing, du design qui vont traduire cette vision avec leurs compétences.
Éric Lefranc : Les 2/3 des ventes Agatha se font sur l’argent, mais la marque propose également de la résine ou d’autres matières. Pour les collections hiver, présentées en septembre, nous proposons une ligne Premium, plus intemporelle — en argent plaqué or puis argent doré ou platiné — et une offre plus Fantaisie sur du laiton doré ou argenté. Les deux segments bénéficient de deux collections par an et des drops réguliers.
Avec un Made in France, le prix des bijoux va-t-il augmenter ?
Éric Lefranc : Agatha était trop souvent en soldes. Notre politique se veut plus efficace sur la création et la logistique. Nous voulons réduire, de manière significative, les remises et augmenter les prix. Aujourd’hui, le panier moyen est en dessous de 50 €, il sera à 60/70 €.
Objectif : ouvrir entre 300 et 400 points de vente en bijouterie
Comment comptez-vous commercialiser les bijoux Agatha ?
Éric Lefranc : Le parc est actuellement de 75 points de vente (42 corners et 33 magasins) sur la France et le Benelux. Notre volonté est de parvenir à une centaine de boutiques enseignes et réintroduire un nouveau concept. Nous souhaitons rouvrir une dizaine de flagships dans des villes à fort trafic et compléter avec un réseau HBJO et une présence en e-commerce.
Romain Peninque : Agatha souffre de mauvaises implantations, alors qu’elle devrait se situer en emplacements premium pour en faire LA marque la plus attractive.
Quelle est votre politique vis-à-vis des horlogers bijoutiers ?
Éric Lefranc : Comme nous sommes sur un achat impulsif, notre objectif est que la marque soit accessible à moins d’une demi-heure de route et dans les zones de trafic. De fait, nous estimons qu’il faut ouvrir entre 300 et 400 points de vente en bijouterie. De beaux écrins avec un positionnement un peu mode et bien sûr la solidité du distributeur. Le display est offert et le mobilier dispose, comme pour Les Georgettes, d’une aide significative.
Envisagez-vous de proposer Agatha à d’autres circuits de distribution ?
Éric Lefranc : Nous vendons Les Georgettes dans certains concept stores et maroquineries alors… pourquoi pas ? Mais ouvrir au prêt-à-porter, je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire. En tout cas, ce n’est pas prévu.
Comment représentez-vous Agatha auprès des revendeurs ?
Éric Lefranc : Les HBJO sont notre cœur de métier ; Altesse intervient donc comme agent. Nous nous appuyons sur une dizaine de personnes qui commercialisent chacune nos 3 marques* sur un petit territoire, soit 10 départements.
Présentez-vous aux Journées d’Achats les 5 et 6 septembre 2021 ?
Eric Lefranc : Oui, nous exposerons Agatha et Saunier. Les Journées d’Achats permettent d’établir un lien professionnel à un coût raisonnable.
Une politique de prix alignée entre les revendeurs physiques et le e-commerce
Quels réseaux de vente digitale visez-vous ?
Éric Lefranc : Agatha est très en retard sur sa digitalisation. Sa communication est principalement physique et papier. Nous visons un meilleur niveau de performance et le premier axe est de posséder notre propre e-store. Agatha sera également présente chez nos partenaires bijoutiers qui ont développé des activités d’e-commerce, chez certains pure players ou market places qualitatives.
Romain Peninque : Les débats portent sur le choix de la plateforme digitale à utiliser. Histoire d’Or connaît leurs avantages et désavantages. Nous sommes à même de dire, au vu du projet — national, international, multilingue, site racine… — quel est le bon outil.
Comment allez-vous établir votre politique de prix (et de remises) entre e-commerce et commerce physique ?
Éric Lefranc : Nous appliquons les mêmes règles sur tous les canaux et informons à l’avance les HBJO des soldes à venir, pour qu’ils puissent appliquer les mêmes, s’ils le souhaitent.
Quid de l’international ?
Éric Lefranc : Nous essayons déjà de préserver l’existant. Agatha fonctionne très bien en Espagne avec 50 points de vente. Nous avons repris la filiale où nous avons une belle équipe marketing. Nous tentons de sauver quelques revendeurs au Moyen-Orient. Ce n’est malheureusement pas le cas au Japon et surtout en Chine et ses 60 boutiques. L’ancien actionnaire réalisait ses propres produits et achetait localement. Les enseignes chinoises n’ont rien à voir… Elles sont roses !
*Altesse commercialise Les Georgettes, Saunier et Agatha Paris.
Propos recueillis par Lydia Christidis et Florence Julienne