« Crecendo est le seul salon professionnel à présenter des collections de chaussures
dans leur globalité, à plus de 800 magasins en France »
Président de l’association des agents de la chaussure Arici, organisatrice du salon Crecendo et propriétaire de la marque Myma, Gilbert Mugnier est un homme de terrain. Il pose ici un regard sincère et expert sur l’état du marché de la chaussure en France, la situation du salon Crecendo et les perspectives pour la prochaine édition, qui présentera les collections automne-hiver 2024/2025 et se déroulera du 25 au 27 février 2023, comme à son habitude, au Parc Floral de Paris.
Propos recueillis par Florence Julienne
« Force est de constater que la rue se standardise et devient mono produit »
Quelle est votre analyse du marché français de la chaussure, au sortir de l’été 2023 ?
D’après les agents, il reste beaucoup de stocks dans les boutiques, principalement des chaussures de ville, à talons, féminines ou habillées. Les ventes de l’été 2023 ont tourné autour de quatre produits : des mocassins entrée de saison, des sneakers (le gros des ventes), des plagettes et le style Birkenstock. Cette tendance estivale risque de durer, car la consommation ne change pas brutalement.
Il y a deux ou trois saisons, 90% des produits présents chez les chausseurs (mocassins, derbies, escarpins, trotters, etc.) se voyaient dans les magasins et dans la rue. Aujourd’hui, la rue se standardise et devient mono produit. Les silhouettes dans les vitrines de prêt-à-porter s’uniformisent et ce, malgré la créativité déployée dans les défilés de mode, pendant les fashion weeks.
Par ailleurs, ce sont les sneakers leaders telles que la Air Force One de Nike ou la Stan Smith d’Adidas, commercialisées autour de 100€, qui fixent les prix du marché. Les sneakers plus haut de gamme s’adressent aux multimarques, mais, sur ce produit spécifique, les magasins de sport (Decathlon, Intersport, Foot Locker, Courir, etc.) ont aujourd’hui des parts de marché supérieures aux détaillants : l’espace chaussures tend à devenir leur premier rayon.
Les chausseurs indépendants distribuent-ils les marques qui font tourner le business ?
Ils sont très peu à représenter ces marques et ce sont souvent des magasins ou des sites Internet dédiés à des articles à connotation sportive (Nike, Adidas, Palladium, Puma, Veja, Reebok, etc.). Cette situation est tenable tant que les fabricants les livrent, mais qu’adviendra-t-il le jour où ils décideront de ne plus vendre aux multimarques indépendants ? ! C’est déjà ce qui commence à se passer.
La majorité des chausseurs indépendants traditionnels, qui visitent le salon Crecendo, ne proposent pas ces labels. Certains affirment réaliser quand même leur chiffre d’affaires, sans distribuer ces produits.
« Notre salon résiste : les nouvelles dates sont bonnes et son offre globale des collections chaussures en fait un événement unique »
Quelle est la répercussion de cet état du marché sur le salon Crecendo ?
Compte tenu du contexte, Crecendo septembre 2023 a enregistré une fréquentation très correcte avec 1400 entrées détaillants et plus 800 sociétés/magasins. En tant que salon d’agents de marques fabricantes, nous devons continuer d’offrir un maximum de choix, même si nous ne vendons pas dans les mêmes quantités qu’auparavant. Nous devons donner envie au consommateur, qui a changé son mode de consommation, de revenir dans notre circuit de distribution. Les acheteurs de boutiques de prêt-à-porter peuvent lancer la tendance et c’est d’ailleurs pour les inviter à nous visiter que nous nous sommes positionnés sur les dates de Who’s Next.
Le salon de février 2024 se tient du 25 au 27 février 2024, pendant la fashion week parisienne. Est-ce une opportunité commerciale à saisir ?
Le fait que Crecendo se tienne durant la fashion week nous offre une dynamique. Les professionnels de la mode textile, qui viennent à Paris pour cette occasion, peuvent trouver des produits susceptibles de les intéresser.
Cependant, Crecendo est un salon de marché et la fashion week représente avant tout les créateurs. Combien de magasins en France sont concernés ? Quand une paire de chaussures est commercialisée entre 300 et 500€, l’agent a déjà ciblé, pour chaque ville, le (voire les) magasin(s) qui lui correspond(ent).
De plus, Crecendo est un salon d’agents qui distribuent une ou plusieurs marques sur une région ou, au mieux, sur la France. Si des acheteurs étrangers viennent, l’agent n’a pas la motivation de prendre une commande hors secteur, donc non commissionnée.
Quels sont les principaux arguments de Crecendo ?
Crecendo est le seul salon professionnel à présenter des collections de chaussures dans leur globalité à plus de 800 magasins en France. Les salons régionaux ne proposent qu’une partie des collections, car les agents, qui ont chacun un secteur dédié, font leur propre sélection. Chaque saison, nous avons entre 5 et 10% de nouveaux exposants. En février 2024, nous espérons accueillir plus de 800 marques.
Quid du choix de l’avancement des dates de Crecendo qui a suscité de nombreuses réactions ?
Crecendo s’est maintenu. La saison dernière, nous avons enregistré quasiment le même visitorat qu’auparavant et avons même récupéré 1 500m2. L’avancée des dates, au début des mois de septembre et de mars, était donc la bonne option. Sur les 130 exposants, partis en septembre 2022, 80 ont revenus sur Crecendo en septembre 2023. Si les dates choisies n’étaient pas les bonnes, celles des régionales ne le seraient pas non plus.
Auparavant, effectivement, les achats se finalisaient en fin de mois. Entre 2020 et 2023, les modes de fonctionnement des achats ont changé.
Nous sommes alignés avec la réalité du marché. En restant en fin de mois, nous avions divisé par deux le nombre d’exposants, de visiteurs et, par conséquent, notre chiffre d’affaires. Toutes les marques qui travaillaient avec l’Asie, principalement de sport ou de confort, ont dû avancer la date de leurs commandes pour pouvoir livrer à temps. Aujourd’hui, même les fabricants européens lancent des ordres de fabrication plus tôt.
Comment voyez-vous la saison automne-hiver 2024/2025 ?
L’hiver est une saison importante et nous pouvons bénéficier d’une plus grande diversité de produits. Nous pourrions avoir une forte demande sur les mocassins, boots, derbies, bottes, etc. Il suffit que deux ou trois stars portent de nouvelles chaussures ou que des magasins prescripteurs changent leurs vitrines pour que le marché reprenne. Peut-être qu’un phénomène de lassitude, l’envie d’être différent, fera que les consommateurs s’orienteront sur d’autres produits que ceux portés uniformément dans la rue…