Rétrospective muséale
Deux expositions, l’une au Palais Galliera, l’autre au MAD, consacrent celui qui incarne et résume la quintessence de la création de ces 30 dernières années.
Margiela Galliera (notez le jeu de mots) est probablement l’exposition consacrée à la mode la plus réussie de ces dernières années (avec celles sur Christian Dior et sur Jean Paul Gaultier). Elle raconte 20 ans de création, de 1989 à 2009, de celui qui resta anonyme et appliqua à sa marque un principe de non-branding : une étiquette blanche pour toute signature ou des mannequins sans visage. La paire de lunettes en plastique noir, baptisée Incognito, illustre cette volonté.
130 silhouettes, vidéos de défilés, archives et installations spéciales rythment le parcours d’une exposition dont la direction artistique est assurée par l’influent créateur lui-même.
Côté accessoires, voici ses principaux faits d’armes. Martin Margiela introduit dans la fashionsphère le style destroyed, en construisant/déconstruisant à loisir. Il remet ainsi en question ce qui de bon ou de mauvais goût. Une paire de gants, réalisés à partir d’un pull-over en laine bouillie/feutrée et maintenus par des épingles à nourrice, devient un must de la branchitude. A l’époque, certains appellent cela Les collections Emmaüs.
Sa bottine fétiche, à l’orteil séparé, inspirée des Tabi traditionnelles japonaises, interroge la désuétude, propre aux phénomènes de mode. Non seulement Martin Margiela redonne ses lettres de noblesse à l’artisanat (à l’époque ce secteur était jugé vieillot), mais il l’érige en œuvre d’art avec ce modèle tagué par le public à l’occasion de l’exposition. Le monde selon ses créateurs.
Le collier pique-bouchon en liège imprimé métal et la jupe-tablier, fabriquée à partir de foulards chinés aux Puces, signent l’affection que porte Martin Margiela à la récupération d’articles, vêtements usagés ou hors d’usage. Un genre qui deviendra une tendance incontournable, tant sur le plan esthétique qu’idéologique : le recycling suivi du up-cycling.
Il a introduit la notion de bijou contemporain dans le vocabulaire de nombreux bijoutiers. Enfin, le casque de moto, en métal et plastique peints, transformé en sac à main doublé de cuir et le ruban porté en bagues offrent à Martin Margiela la légitimité d’un créateur conceptuel. Ce qui est une forme de Graal…
Notez que ce ne sont que quelques exemples parmi la foultitude de choses qu’a engendrées le designer belge et qu’il serait vraiment dommage de réduire aux accessoires la visite de cette exposition, qui s’impose tant sur le fond que sur la forme (le parcours du Palais Galliera est méconnaissable tant la scénographie est originale). Et soulignons qu’en marge de cette rétrospective, le Musée des Arts Décoratifs propose une double lecture du travail de Martin Margiela, pour sa propre maison et pour Hermès, avec une opposition des genres, toute en orange et blanc.
Jusqu’au 15 juillet 2018, Margiela Galliera, Musée de la Mode, 10 avenue Pierre-1er-de-Serbie 75116 Paris.
Jusqu’au 2 septembre 2018, Margiela, les années Hermès, Musée des Arts Décoratifs, 107/111 rue de Rivoli 75001 Paris.